L'argot n'est point une langue, mais un langage de convention qui échappe au vocabulaire courant et dont la construction des mots s'appuie sur des éléments aussi fantaisistes que singuliers. Un grand nombre d'entre eux tirent leur origine de vieux mots français.
Voici quelques exemples particuliers de ce langage appliqués à la gendarmerie.
La formation des mots
Les mots les plus amusants sont ceux qui se substituent à un autre. Cette classe dont la conception paraît bizarre au premier abord n'est cependant pas dépourvue de logique. Elle en demeure très expressive, ainsi, l'argot utilisant les substitutions de l'effet à la cause comme les musiciens pour parler des haricots ou des pleurants pour les oignons, ceux utilisant les substitutions de la fonction : palpitant pour cœur, toquante pour montre, enfin ceux qui s'appuient sur l'aspect des objets, une trouée pour désigner de la dentelle ou un petit noir pour le café.
Dans l'argot de substitution, une variété non moins intéressante est celle des analogies qui consiste pour manifester une certaine ironie à faire des comparaisons animales, végétales ou matérielles. Le sot sera représenté par un dindon ou un blaireau, un prête-nom sera comparé à un homme de paille, etc.
L'argot comporte également des mots qui ont volontairement été modifiés soit pour être amusants soit pour n'être pas compris par un importun. Ils sont tout simplement construits en conservant généralement la première syllabe du mot réel et en modifiant de façon arbitraire les autres ainsi burlingue pour bureau, moblot pour mobile, vioque pour vieux, etc. Cette excentricité trouve également dans les abréviations un bel écho tel un aristo (aristocrate); une occas (occasion) ; du champ (champagne); bénéf (bénéfice); photo (photographie), etc.
L'argot peut également se façonner sur des jeux de mots, des souvenirs ou des mots de langue étrangère.
Ce vocabulaire particulier ne date pas d'hier. En 1658, dans son livre intitulé « le jargon ou langage de l'argot », Olivier Chéreau nous livrait les mots d'argot utilisés à son époque. Ainsi apprend-on qu'un habit était déjà désigné sous le nom de frusquin, que la main était surnommée la louche, une porte : une lourde, le nez : le minois, une taverne : une piole, un gentilhomme : un rupin, la tête : la tronche, nous : toutime, etc..
L'argot est un langage factice, mobile dont l'objet est de déguiser, sous des métamorphoses de convention des idées que l'on veut communiquer qu'aux adeptes. Ce langage de gueux largement parlé par des gens considérés comme étant dépourvus de culture n'en demeure pas moins un langage étincelant d'imagination et d'esprit. Bien entendu, la maréchaussée puis la gendarmerie n'ont pas échappé à ce vocabulaire dont la plus grande partie des qualificatifs ou expressions sont le plus souvent l'œuvre des coquins et autres délinquants.
Voici un petit catalogue de ces mots.
Terminologie populaire à l'époque de la maréchaussée
Mot d'argot | Cible |
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Le Roüin : (prononcer le rouillin) ou roulin |
On désignait sous ce terme le prévôt des maréchaux. Ce mot tire son origine du supplice de la roue introduit par François Ier(1515 - 1547) dans un édit de janvier 1534. Dans un édit de juillet 1547 le roi punissait « les meurtriers et assassins de guet-apens » à la roue et attribuait la connaissance de ces crimes aux prévôts des maréchaux qui, par leur condamnation, furent surnommés ainsi. |
Les roüaux (prononcer les rouyaux) |
Les archers du prévôt des maréchaux qui conduisaient le supplicié à la roue. |
Le rouhart : | Le bourreau qui infligeait le supplice de la roue. |
L'armée roulante : | On appelait ainsi les groupes des prisonniers enchaînés et conduit par le roulin (le prévôt des maréchaux) et les roveaux (archers). |
Les serins : | Cavaliers de maréchaussée en référence au jaune de leurs buffleteries. |
L'abbaye de mont-à-regret : | la potence. |
Cheval de retour : | celui qui est conduit au bagne pour la seconde fois. |
Le violon : | C'est la cellule dans laquelle sont menées les personnes arrêtées en attendant d'être interrogées. Ce terme vient d'un très vieux jeu de mots qui date du temps où les agents de la force publique dont ceux de la maréchaussée se nommaient des archers (le nom de cavalier sera donné aux archers de la maréchaussée qu'en 1778). Ainsi l'archer (l'archet) vous conduisait au violon. |
Jouer du violon : | scier les fers. |
Terminologie populaire pour désigner les gendarmes
Mot d'argot | Cible |
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Les cognes : | Contrairement à ce que l'on pourrait s'imaginer, le surnom de cogne n'a pas été donné aux gendarmes pour révéler une habitude de brutalité. L'origine de cette expression est d'abord à chercher dans le mot "canton" qui en vieux français signifie "coin". Ainsi les cognes ou cognards sont ceux qui à proprement parler vous jettent dans le coin, vous y cognent. |
Grippe-Jésus : | les gendarmes. Les Jésus étaient des enfants livrés au vol et à la débauche. |
Hirondelle de la grève : | gendarme escortant un prisonnier sur la place de grève pour être exécuté. |
Hussard de la guillotine : | gendarme menant un suplicié à l'échaffaud. |
Lapin-ferré : | gendarme à cheval. |
Marchand de lacets : | gendarme poursuivant un voleur (cette expression fait allusion aux menottes que detient un gendarme). |
Pandore : | Nom d'un des gendarmes de la fameuse chanson d'Auguste Nadaud « Les deux gendarmes ». Cette chanson parodiant la formidable admiration passive du gendarme Pandore à l'égard de son brigadier toujours infaillible recevra du public un accueil très favorable au point que Pandore passera dans le langage commun pour désigner les gendarmes. De nombreux auteurs reprendront les aventures de Pandore comme Jean-Jacques Laurent dans son ouvrage « apologie de la pêche à la ligne » publié en 1865. Extrait :
On raconte, il est vrai, qu'au lever de l'aurore, |
Un chasse-coquin : | un gendarme. |
Terminologie populaire pour désigner des objets ou des lieux en relation avec les gendarmes
Mot d'argot | Cible |
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Canton ou carruche : |
Le sens primitif de ce substantif dans l'ancien français est « coin ». De ce mot, le vocabulaire militaire en a tiré le verbe cantonner qui signifie loger des troupes dans un coin. Coin étant alors pris au sens de lieu délimité, localisé, circonscrit à un élément particulier (ex. une clairière, un village ...). C'est dans ce sens de lieu restreint, borné que canton sera utilisé dans l'argot du XVIIe siècle pour désigner une prison. Par extension il donnera le mot « carruche ». |
Comte de la carruche : | geôlier de la prison. |
Cantonnier ou carruchier : | par extension « canton et carruche » ont donnés les mots cantonnier et carruchier qui étaient utilisés pour désigner les prisonniers. |
La pouce : | brigade de gendarmerie. |
La harpe : | les barreaux de fer placés aux fenêtres des prisons. |
Le crucifix à ressort : | dans cette expression, le pistolet était nommé crucifix, car comme lui il se montre à l'heure suprême. Le terme à ressort faisait référence au mécanisme de mise à feu de cette arme au temps où elle était équipée d'une platine à rouet. |
Panier à salade : | voiture destinée à transporter les prisonniers. |
Pétouze, pétoire : | nom dérivé d'une petite bouche à feu du moyen âge appelée petereau, nommée ainsi à cause de l'harmonie imitative de sa détonation. |